Saturday, September 24, 2011

LA LOI IVOIRIENNE SUR LE FONCIER RURAL EN QUESTIONS-REPONSES


LA LOI IVOIRIENNE SUR LE FONCIER RURAL EN QUESTIONS-REPONSES
Comme la majorité des pays africains, l’économie de la Côte d’Ivoire repose essentiellement sur l’agriculture. Dans un tel contexte, l’accès et l’exploitation des terres agricoles (principalement situées en zones rurales) représente un enjeu majeur. Pour permettre une meilleure occupation et utilisation des terres rurales naguère régies par les droits coutumiers, les autorités ivoiriennes ont élaboré et fait voter en 1998 une loi sur le foncier rural. Quel est le contenu de cet important texte législatif qui a manifestement besoin d’être plus largement expliqué? Comment permettre une meilleure compréhension de cette loi ? Tel est l’objet de ce quizz à l’attention des internautes intéressés par l’épineuse question du foncier rural en Côte d’Ivoire.

1 - Qu’est-ce qu’un code foncier rural ?

On appelle « code », un ensemble de règles et l’adjectif « foncier » renvoie à tout ce qui touche à la terre. Un code foncier est donc l’ensemble des règles qui président à la gestion de la terre sur un territoire donné (généralement dans un Etat). Le code foncier rural est alors un ensemble de dispositions légales  qui définit les règles permettant d’occuper et d’exploiter la terre en milieu rural.  

2 - Pourquoi la loi sur le foncier rural a-t-elle été adoptée?

Longtemps caractérisée par un flou juridique, la question du foncier rural en Côte d’Ivoire est à l’origine de nombreux conflits sanglants dans certaines régions du pays. Les problèmes tels que la croissance démographique galopante, le taux d’immigration en hausse constante et incontrôlée, le retour des jeunes déscolarisés à la terre ajoutés à la crise économique qui frappe le pays depuis plus de deux décennies sont des facteurs qui accentuent la pression sur l’acquisition et la gestion des terres en milieu rural. Se posent du coup les problèmes de la raréfaction (réduction) des terres cultivables et de la gestion de l’espace disponible. Pour prévenir, régler les conflits fonciers et sécuriser les terres rurales naguère régies par les coutumes, les autorités politiques ont fait voter par l’Assemblée Nationale (à l’unanimité des députés) la loi relative au domaine foncier rural dite loi n°98-750 du 23 décembre 1998. Cette loi a été votée le 18 décembre 1998 et promulguée (acte qui consiste pour le Chef de l’Etat à faire appliquer une loi sur tout le territoire national après avoir constaté qu’elle a été normalement adoptée par l’Assemblée Nationale) le 23 décembre 1998. Elle a ensuite été modifiée le 28 juillet 2004 uniquement en son article 26 (les raisons de cette modification seront fournies par la suite).

3 - Qu’est-ce-que le domaine foncier rural ?

En son article 1er, la loi sur le foncier rural énonce que « le domaine rural foncier est constitué par l’ensemble des terres mises en valeur ou non et quelle que soit la nature de la mise en valeur ».  Le domaine foncier rural comprend donc les terres qui sont exploitées ou non ; c’est-a-dire tout ce qui concerne une « opération  de développement agricole » (art 18 du code) telle que les plantations, les vergers, les terres en jachères, l’élevage d’animaux domestiques…  Même si ce domaine foncier rural est un « patrimoine national » (bien commun à tous les Ivoiriens), il reste entendu que « seuls l’Etat, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont admis à en être propriétaires » (art 1 du code).  

4 - Quelles sont les caractéristiques du domaine foncier rural ?

Si l’article 1er  de loi portant code foncier rural avance que le domaine foncier rural est constitué de l’ensemble des terres mises en valeur ou non, toutes les terres de Côte d’Ivoire n’appartiennent pas tout de même au domaine foncier rural. Dans ce sens, on dit du domaine foncier rural qu’il est un domaine résiduel, c’est-à-dire que la localisation d’une parcelle dans le domaine foncier rural se fait après élimination des autres catégories de terres. Sont donc exclus du domaine foncier rural : 
  • Les terres du domaine public, c’est-à-dire les terrains qui appartiennent à l’Etat ou à des collectivités locales (communes, régions…) et qui sont destinés à un usage public (les routes, les ports, les camps militaires…) ;
  • Les périmètres urbains, c’est-a-dire les alentours des villes ;
  • Les zones d’aménagement différé qui sont des terres réservées par l’Etat pour de futurs travaux ;
  • Les terres du domaine forestier classé, c’est-à-dire les forêts classées
En résumé, le domaine foncier rural ivoirien est composé de toutes les terres de Côte d’Ivoire sans les terres du domaine public, les périmètres urbains, les terres réservées de l’Etat et les forêts classées.
 

5 - Quels sont les groupes de terre qui composent le domaine foncier rural ?

Le domaine foncier rural est composé de deux grands groupes de terres :
Les propriétés à titre permanent
Ce sont les terrains qui ne changeront jamais de statut, c’est-à-dire qui resteront toujours des terres du domaine foncier rural. Ce sont :
  • les terres qui appartiennent à l’Etat (biens fonciers de l’Etat)
  • les terres qui appartiennent à des collectivités publiques (communes, régions…)
  • les terres appartenant à des particuliers
  • les terres sans maîtres ou sans propriétaires. Une terre est déclarée sans propriétaire dans le cas par exemple où trois ans après le décès d’un propriétaire de terre, personne ne réclame cette terre. Celle-ci est alors déclarée sans propriétaire et revient à l’Etat (art 6). Pareil pour tout propriétaire qui ne s’est pas fait établir un certificat foncier 10 ans après la publication de la loi (le délai court donc jusqu’au 2ème trimestre 2009
B - Les propriétés à titre transitoire
Il s’agit ici des terres dont le statut est provisoire et qui peuvent être appelées à devenir des terres à titre permanent. Ce sont :
  • les terres sur lesquelles s’exercent des droits coutumiers conformes aux traditions. Par droits coutumiers, il faut entendre des droits ou privilèges sur des terres transmises de génération en génération ;
  • les terres du domaine foncier rural concédées par l’Etat à des collectivités publiques ou à des particuliers

6 - Qui peut être propriétaire d’une terre du domaine foncier rural ?

Les personnes qui peuvent être propriétaires d’une terre du domaine foncier rural sont :
  • l’Etat ivoirien
  • les collectivités publiques (communes, régions, districts, conseils généraux, sociétés d’Etat…)
  • les groupements informels (familles, héritiers coutumiers…)
  • les personnes morales de droit privé (association, syndicat, coopérative…)
  • les personnes physiques ivoirien

7 - Pourquoi l’article 26 du code foncier rural a-t-il été modifié ? haut de page

Avec la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, seuls les ivoiriens pouvaient être propriétaires de terres rurales, quoiqu’il n’était pas exclu que les allogènes exploitent ou profitent de ces terres. Or avant 1998, des allogènes ont occupé et exploité des terres qui leur ont été concédées et sur lesquelles ils prétendent détenir la pleine propriété avec notamment le droit selon eux de les transmettre à leurs héritiers. Bien que la loi de 1998 reconnaissait aux étrangers devenus propriétaires de terres rurales avant 1998 le droit de les conserver, elle faisait obligation aux descendants étrangers qui recevaient en héritage la terre de leurs parents défunts de la vendre à un Ivoirien dans un délai de 3 ans (art 26). Ils pouvaient aussi déclarer cette terre à l’Etat qui pouvait leur faire profiter d’un bail de longue durée ; l’Etat restant donc propriétaire de ces terres.
En raison des désaccords et autres conflits créés par ces dispositions, l’article 26 a été modifié par la loi n°2004-412 du 14 août 2004. Désormais, toute personne physique étrangère qui, par un titre de propriété, prouve qu’elle est propriétaire d’une terre rurale, peut la léguer à ces héritiers qui en deviennent pleinement propriétaire.

8 - Comment devient-on propriétaire d’une terre rurale ?

Il n’est plus possible aujourd’hui de se déclarer verbalement propriétaire d’une terre rurale. Pour devenir propriétaire d’une parcelle du domaine foncier rural, il faut se faire établir par l’administration un titre de propriété. Selon l’article 4 de la loi de 1998, cette propriété s’établit à partir de l’immatriculation au registre foncier. Mais avant, il faut d’abord obtenir un certificat foncier rural.
A - Le certificat foncier
C’est un acte de l’administration qui constate qu’une personne ou un groupe se disant détenteur de droits coutumiers sur une terre rurale occupe celle-ci de façon permanente et sans conflit. La démarche pour établir le certificat foncier s’effectue en différentes étapes :
  • Une demande d’enquête adressée au Sous-préfet de la localité
  • Le Sous-préfet désigne un commissaire-enquêteur qui s’entoure d’une équipe pour réaliser l’enquête
  • Le rapport d’enquête rédigé et présenté publiquement, est approuvé après un délai de 3 mois servant à enregistrer les éventuelles oppositions par le comité villageois de gestion foncière. Ce comité délivre alors un  « Constat d’existence continue et paisible de droits coutumiers ».  
  • Sur cette base, le Ministère de l’Agriculture (via le Préfet de Département qui le signe) délivre le Certificat foncier qui est publié au journal officiel de la République de Côte d’Ivoire
L’étape du certificat foncier montre en réalité que le « propriétaire » n’est pas un usurpateur et qu’il a l’accord de la communauté villageoise où il vit (art 7 du code). Mais pour rendre définitif le titre de propriété, le détenteur du certificat foncier doit faire inscrire sa terre sur un registre dit « registre foncier », c’est-à-dire l’immatriculer.
B - L’immatriculation
Cette démarche doit être effectuée dans un  délai de 3 ans après l’obtention du certificat foncier. Pour ce faire, le demandeur formule une demande d’immatriculation à la Direction départementale du Ministère de l’Agriculture. L’immatriculation est effectuée dans un délai maximal de 3 mois à compter de la réception de la requête. Cette immatriculation rend inattaquable (incontestable) et définitif son titre de propriété (art 12 de la loi sur le foncier rural).Si l’immatriculation n’intervient pas dans les 3 ans après l’obtention du certificat foncier, ce document n’a plus aucune valeur juridique, donc périmé. Le détenteur ne peut s’en prévaloir pour réclamer une quelconque propriété sur la terre qui revient alors de plein droit à l’Etat.

9 - Qu’est-ce que le Comité de gestion foncière ?

Le comité de gestion foncière est l’organe qui, dans chaque sous-préfecture, a à charge la gestion foncière rurale. Il est présidé par le Sous-préfet.
Il a pour rôle de :
  • valider les enquêtes officielles de constat de droits fonciers coutumiers
  • se prononcer sur les oppositions ou réclamations qui surviennent au cours des procédures d’immatriculation des terres du Domaine Foncier Rural concédé
  • juger les conflits non résolus au cours des enquêtes foncières
  • recevoir les demandes de cession de droits fonciers
  • implanter les opérations de reboisement
  • implanter des projets d’urbanisation
  • donner son avis sur les implications foncières des différents projets de développement rural
Les avis du comité de gestion sont rendus à la majorité simple des membres présents. En cas de partage égal des voix, celle du Président est prépondérante (cf. art 4 du décret portant organisation et attribution des CGFR).

10 - Quelle est la composition du Comité de gestion foncière ? 

Il est composé de :
- ceux qui ont le droit de voter : les représentants des Ministères liés à la terre (Agriculture, Environnement et Forêts, Logement et Urbanisme, Infrastructures économiques), un représentant du Service du cadastre, six représentants des communautés rurales, des villages et des chefs coutumiers
- ceux qui ont le droit de donner leur avis : un gestionnaire du plan foncier rural, les représentants des comités villageois créés par le Sous-préfet et toute autre personne utile aux travaux du comité

11 - Quelle est la place du droit coutumier dans le présent code foncier rural ?

Dans nombre de pays africains, la coutume a longtemps réglementé le domaine foncier.  L’une des nouveautés du code foncier est la reconnaissance des droits coutumiers exercés par les personnes que les traditions reconnaissent comme détentrices de terres et couramment appelées « propriétaires terriens ».  Ceci signifie que si une personne affirme détenir une terre rurale selon la coutume, l’Etat lui reconnait ce droit. Mais, il lui revient, dans un délai de 10 ans à compter de la publication de la loi (donc jusqu’au 2ème trimestre 2009) d’entreprendre les démarches administratives nécessaires (voir question 8) pour obtenir le titre de propriété.

12 - Le code foncier rural est-il actuellement appliqué ?  haut de page

Le code foncier rural est entré en vigueur le 14 janvier 1999. Par ailleurs, la plupart des textes d’application (décrets, arrêtés) ont été pris. Mais des années après sa promulgation, cette loi n’est pas encore pleinement appliquée. La raison est simplement que toutes les structures techniques chargées de sa mise en œuvre (Comités Villageois de Gestion Foncière Rurale, etc.) n’ont pas encore été mises en place et que partant de là, il est par exemple difficile d’obtenir le certificat foncier rural.

No comments:

Post a Comment